La "Warner touch"

En 1918, quatre fils immigrants polonais, après avoir connu quelques succès modestes dans l'exploitation et la distribution cinématographique régionale, puis s'être essayés à la production en réalisant quelques shorts comiques, achetaient les droits d'un best seller d'actualité (les mémoires de l'ambassadeur américain en Allemagne avant d'entrée en guerre des Etats Unis) et produisaient leur premier long métrage.

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A une époque où l'industrie cinématographique évoluait à pas de géants, les Warner étaient des arrivants relativement tardifs sur la scène californienne. Les tournages se faisaient dans la région de Los Angeles depuis 1907, et les premiers studios fût ouverts en 1909. Carl Laemmle, fondateur d'Universal, s'était installé à Hollywood en 1912, puis, en 1915, avait ouvert dans la San Fernando Valley un complexe couvrant plus de cent hectares : Universal City. L'association Jesse Lasky-Samuel Goldwyn-Cecil B. DeMille (sous la raison sociale Jesse L. Lasky Feature Play Co.) avait produit en 1914 le premier western de long métrage tourné en Californie, le légendaire The Squaw Man, et, après avoir fusionné en 1916 avec le Famous Players d'Adolph Zukor, distribuait une centaine de longs métrages annuellement par le canal du réseau de distribution Paramount, acquis par Zukor en 1916. Puis en 1917, William Fox avait ouvert un studio à Hollywood sur Sunset Boulevard, à quelques centaines de mètre le futur studio des Warner. Et 1919 est l'année où les quatre plus grands noms du cinéma américain s'associent pour fonder United Artists : l'ère des grands studios était déjà commencée à la fin de la décennie.

Naissance et croissance d'un studio


En se lançant dans la production au début des années vingt, les Warner savaient qu'ils auraient à affronter une concurrence impitoyable. Les grands trusts qui allaient dominer toute l'industrie cinématographique pendant plusieurs décennies étaient déjà créés (ou presque) formé à un an après la création officielle de Warner Bros. Pictures Inc., de la fusion de la Metro Pictures de Marcus Loew avec Goldwyn Pictures et Louis B. Mayer Productions. Famous Players-Lasky (Paramount), Universal, Fox Films, First National produisaient de cinquante à soixante films par an chacun, chiffre énorme mais nécessaire à l'alimentation des circuits de salles dont ces sociétés étaient propriétaires.

Malgré le succès de Mes quatre ans en Allemagne, en 1918, les frères Warner, au début de la décennie, ne semblaient pas promis à une carrière de magnats hollywoodiens. Au fil des années, plusieurs échecs ont été enchaînées. Ainsi entre-temps, les Warner s'étaient lançés dans la production d'un serial, A dangerous Adventure. Le tournage fût marqué  par une série d'accidents, et le film couvrit à peine ses frais de production. Un peu plus tard, les quinze épisodes furent réduits à sept bobines et distribués comme un long métrage normal, un des cinq titres Warner pour 1922.



A la conquête du son


Au début des années vingt, Western Electric et les laboratoires Bell, filiale d’AT&T, société détentrice du quasi-monopole des transmissions téléphoniques aux Etats-Unis, poursuivaient depuis plus de dix ans de recherches sur l’enregistrement et l’amplification sonore (en 1925, ils mettront au point l’enregistrement phonographique électrique qui va se substituer à l’enregistrement acoustique). Plus récemment, AT&T s’étaient intéressé aux applications possibles de ses recherches dans le domaine du cinéma.
En 1925, des représentants de Western Electric prirent contact avec les responsables de grands studios, et se heurtèrent à une indifférence totale. Un peu plus tard toutefois, le directeur de Western Electric pour la côte Ouest, qui avait équipé la station de radio récemment ouverte par Jack et Sam Warner dans leur studio, leur décrit avec enthousiasme les expériences conduites dans les laboratoires Bell et convainc Sam de se rendre à New York. Il eut tôt fait de convaincre Harry, d’abord réticent, et en juin Warner Bros. et Western Electric fondaient la Vitaphone Corporation pour la production de films sonores.



Il faut mettre le succès inattendu du Vitaphone sur le compte de la timidité des autres producteurs, qui attendirent les résultats de l’innovation Warner pour se lancer à leur tour à la conquête du son. Quant aux raisons des frères Warner  eux-mêmes, elles se révélèrent, bien que commercialement justifiées, à courte vue : leur système allait devenir rapidement si archaïque que l’immense majorité de la production  sonore du studio entre 1926 et 1930 restera invisible (et inaudible) pendant plus d’un demi-siècle, jusqu’à un programme  de restauration entrepris en 1987 à la suite de la découverte dans les studios WB de Burbank de deux mille disques Vitaphone. Seuls parmi les premiers films sonores Warner, quelques très grands succès (ainsi The jazz Singer) avaient été transférés sur pellicule sonore après leur exploitation initiale. Quand le studio décide, dans le courant de 1930, d’abandonner le procédé Vitaphone pour le son sur pellicule, els films sonores des années 1926-1929 sont déjà des pièces de musée, techniquement dépassés en raison de l’évolution très  rapide de l’enregistrement sonore. Ils circuleront encore pendant quelques années en version muette dans les salles  non équipées pour le son mais ils sont considérés comme désormais inexploitables en version sonore : leur transfert aurait donc été un gaspillage.

La période Zanuck : 1929-1933

Quand Darryl Zanuck prend officiellement la direction de la production en janvier 1930, son influence comme producteur est déjà importante depuis quelques années. Il avait supervisé la préparation et le tournage de Chanteur de jazz. En 1930, Zanuck était payé la somme considérable de quatre mille dollars par semaine, notable exception à la règle des deux mille dollars maximum édictée par Harry Warner.
1930 est encore une année de transition pour le studio. De très nombreux films ont pour vedettes des transfuges de First National à la carrière déclinante : Corinne Griffith, Billie Dove, Alice White…, et une dizaine de films musicaux « à l’ancienne mode » sont produits.
Le studio qui allait devenir célèbre pour sa vocation « sociale » avec des films comme Je suis un évadé (1932) ou La ville gronde (1937) restait, ici comme dans bien d’autres cas, relativement prudent dans la critique…
1931 marque la véritable apparition du style Warner Bros. première manière, qu’on pourrait appeler « style Zanuck », et, qui va prévaloir jusque vers 1935. Aux antipodes de l’élégance sophistiquée qui régnait à la Paramount par exemple, l’inspiration est crûment  réaliste, populaire et toujours citadine. Les westerns sont rares, les fils d’aventures historiques et/ou exotiques inexistants. Peu d’intrigue situées dans la haute société, voire la moyenne bourgeoisie : les milieux sociaux représentés sont modestes, plébéiens ou marginaux. C’est un monde de gangsters, certes mais aussi de petits délinquants, de journalistes mal payés : par exemple Cagney est chauffeur de taxi dans Taxi, Robinson ouvrier du bâtiment dans Two Seconds(1931).

La période Wallis (1933-1943)


Hal Wallis, qui avait débuté dans le département publicité du studio en 1922, était devenu le bras droit de Zanuck après avoir dirigé First National à l’époque de la fusion des deux compagnies en 1929-1930. Trois mois exactement après le départ de Zanuck, il signe un nouveau contrat lui assignant la supervision administrative de toute la production. L’ère Zanuck et l’ère Wallis se chevauchent, et peu de différences apparaissent dans la production des années 1933-1934 par rapport aux précédentes. Des changements majeurs, toutefois, ne vont pas tarder à se manifester, qu’ils soient dus ou non à l’influence de Wallis.
Deux facteurs importants déterminent l’évolution de Warner Bros. à partir de 1934. L’un, intérieur au studio, est une aspiration au « prestige », aspiration qui va se traduire par des sujets plus ambitieux, des budgets plus importants, un accent nouveau mis sur la qualité et un ralentissement concomitant du rythme effréné de production qui avait caractérisé la première moitié de la décennie. L’autre facteur, dont l’impact sur toute l’industrie cinématographique américaine va être énorme, est la création, en juillet 1934, de l’Administration du Code de la Production (PCA), chargée de l’application stricte du Code d’autocensure rédigé par la MPPDA en 1930.

Les années guerre

On connaît l’extrême réticence des producteurs hollywoodiens à prendre position contre la montée du nazisme en Europe. Les raisons en sont nombreuses : désir de ne pas perdre les marchés allemands et italiens, conviction que le public américain se désintéressait de la politique étrangère, amalgame fréquent de l’antifascisme et du communisme, crainte, en dénonçant l’antisémitisme, d’attirer l’attention sur le fait que presque tous les chefs de studio étaient juifs, et par là de stimuler l’antisémitisme endémique aux Etats-Unis même. Sans faire preuve de beaucoup d’audace, les Warner sont cependant parmi les moins timides dans ce domaine. A l’automne 1938, ils entreprennent Confessions of a Nazi Spy, le premier film ouvertement antinazi produit par Hollywood. Les Warner avaient leurs raisons personnelles pour produire une telle œuvre : un représentant du studio en Allemagne, juif lui-même, avait été battu à mort par un groupe de nazis, à la suite de cet incident tragique, Warner avait fermé ses bureaux de Berlin.

A partir de 1940 et ce pendant une demi douzaine d’années, le studio va continuer à produire des films de qualité dans la grande tradition Warner, œuvres au style distinctif, que l’on peut classer en trois grands genres : le drame psychologique ou mélo féminin ; le thriller ou policier noir ; et le film d’action.